Entretien septembre 2006 avec Jacques Josse, Alain Jégou, Michel Dugué

Publié le par Trémalo

Georges Perros, dans une lettre à son ami Carl Gustaf Bjurström, donne une partie de sa vision de l’objectif du poème, à la suite de la demande insistante du suédois d’avoir l’avis du motocycliste de Douarnenez  sur sa production poétique :
 
Il suffirait de revoir certains mouvements, qui sont un peu paresseux, me semble-t-il. (…) D’une manière générale, il faudrait durcir, ne pas lâcher.Le poème a tendance à s’écouter, à s’endormir, il faut sans cesse veiller à le redresser, dût-il suivre une ligne droite. Surtout s’il suit une ligne droite.
 
Comment donc, avec Perros, lutter contre cet endormissement du poème ? C’est un peu une question pour un peintre ou un musicien : votre poésie force-t-elle son trait ? Epaissit-elle ou au contraire amincit-elle l’émotion au moment d’écrire ? La ligne droite dont parle Perros impose-t-elle un but ?
 
A.J : Poétiser droit, suivre la ligne fixée, surtout ne pas s’assoupir ni dériver d’un chouia…Walk  the line, comme chantait Johnny Cash, un autre mélo-man, un poète tragique, plus proche des bouseux et des taulards que des happy few et des salonards, ok, mais un sacré poète quand même ! Il a raison notre motocycliste de Douarnenez, en poésie, comme dans la country ou la symphonie, faut pas se laisser aller à la facilité, ne pas ronronner ni tomber dans le genre bluette, toujours sur la brèche, sur le fil du rasoir pour trouver le ton juste, se colleter jusqu’à la dernière rime avec le verbe récalcitrant, lui « filer une bonne trempe » comme disait Léo, afin de lui faire comprendre qui mène la danse. Si tu déroges, dérapes, mollassonnes sur le parcours, tempères sur le discours, t’es foutu !  Décrété bon à lap, même pas à publier chez Gallimuche ! 

JJ : Je ne sais pas. Je suis assez d’accord avec lui. Ce côté incisif, vivant, direct qu’il demande au poème, on le retrouve dans ses textes. Des notes souvent brèves qui vont droit au but. On repère également  cette volonté de casser le rythme – en prenant des raccourcis – dans Les Poèmes bleus et dans Une vie ordinaire.
 
Pour ma part, je n’essaie jamais de forcer le trait. J’écris, simplement. En faisant en sorte de ne pas me laisser emporter par un flux, une émotion qui me ferait perdre le fil de ce que je souhaite le plus concis possible. Je me méfie d’un lyrisme trop débridé, des descriptions à n’en plus finir, de toutes ces circonvolutions qui peuvent créer une grande confusion et donner du mou, du ventre au poème. Le but n’est pas une fin en soi mais il est évident que la route empruntée doit à un moment donné s’arrêter. Après, savoir si le but a été atteint ou pas, c’est une autre histoire. C’est une question de souffle. Le mien est d’ordinaire très court. Si j’essaie de le forcer, je suis pratiquement certain de finir en vrille.
 
A cela s’ajoute la difficulté qu’il y a  (que j’ai) à trouver un minimum de  temps et d’énergie pour écrire le soir en rentrant du travail. Cette autre réalité m’oblige à aller vite, à être bref, lapidaire même.
 
MD : Si le poème dort, c’est qu’il est fatigué. La fatigue du poème est patente. Notons à sa décharge que l’état de relégation où le maintient un environnement hyper marchand a de quoi l’épuiser. Néanmoins le poème qui ne fait que s’enchanter de lui-même est également responsable de cette dormition. Narcisse aussi est un dormeur. Debout les gisants ! – je ne parle pas de ces visages de pierre, défaits et si expressifs, immobiles ils sont dans une dynamique verticale. Comment cette dernière pourrait-elle contaminer les autres ? Nous le savons, ce n’est guère facile. Il ne suffit pas d’un cri, fût-il performatif, ou de tordre comme on entend dire, ici ou là, le cou à la syntaxe. Ce n’est pas nouveau. Ça revient au fil de la faux du temps qui fait qu’une mode coupe la tête à une autre et ainsi de suite jusqu’à la prochaine. Ça donne momentanément à penser à ceux-là qui piaffent d’impatience de penser. Sous les vents dominants de l’heure, les girouettes grincent de fortes déclarations. La question de la ligne droite n’est pas si mystérieuse. Il convient de mettre un pas devant l’autre ce qui, on me l’accordera est malaisé, et d’aller le plus droit possible. Parfois, ça marche.

Publié dans Extraits d'entretiens

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J
ces propos-là, je n'y ajouterai que la même chose.
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