Pierre Peuchmaurd n'est plus (12.IV.09) - entretien été 2000

Publié le par Trémalo


Mais de ce monde encore. Il nous donne toujours de ses nouvelles.

Nous proposons ici l'essentiel de l'entretien qu'il avait accordé l'été 2000 à la revue Quimper est poésie et publié en octobre de la même année.

Olivier Hobé : Pierre Peuchmaurd, si vous le voulez, et ceci afin de permettre au lecteur de mieux appréhender votre démarche poétique, je me permettrai de débuter notre entretien par cette question simple : quel put être le point de départ ou, si j’ose dire, le « big-bang » de votre activité littéraire : en quel sens perdurerait-il encore aujourd’hui dans vos livres ?
Pierre Peuchmaurd : Voulez-vous parler de quelque chose comme une vocation ? Je ne m’en suis connu que deux. Jusqu’à l’âge de dix-douze ans (assez tard, vous voyez), je voulais être lieutenant (pas plus : ce sont les lieutenants qui font s’évanouir les dames, tout le monde sait ça) dans l’armée nordiste pendant la guerre de Sécession. Quelquefois aussi dans l’armée sudiste, par goût de la défaite et de la trahison, j’imagine, et parce que l’uniforme gris des Confédérés me paraissait follement élégant. Jusqu’au jour où j’ai bien dû admettre qu’il n’y avait pas beaucoup d’avenir là-dedans. Alors, j’ai su que je serais poète. Ou rien. C’était peut-être un autre déguisement, mais sans travestissement, celui-là. Ce que c’était, la poésie, je n’en avais sûrement qu’une idée assez vague. Ou bien, au contraire, sans le savoir, je le savais absolument. Je crois qu’on ne sait jamais ce qu’on sait, ni comment on l’a su. Je lisais beaucoup, il est vrai. J’ai eu cette chance –le privilège- de grandir dans une maison pleine de livres. Mais ce n’est pas tout que de pouvoir ouvrir des livres : il faut qu’un livre vous ouvre. Il y en eut deux, presque simultanément : Nadja, et Les filles du feu, de Nerval. Et tout de suite après (en très peu de temps, vraiment), Lewis Caroll et Kafka. A partir d’eux, tout est venu, je suis venu. J’ai écrit mon premier poème à treize ans, et non pas sur la route : dans mon lit, un matin. Ce fut un véritable ébranlement physique, comparable seulement à celui du premier coup de foudre amoureux. Ce serait cela, si vous voulez le big bang. Ce jour-là, réellement, le monde a changé : il s’est illimité. Ce qui reste de ça ? Je n’ai jamais cessé de lire ces livres et ce qui, autour d’eux, fait constellation. L’idée que je me fais du poète n’a plus grand chose à voir avec le prestige de l’uniforme. Ce qui dure, qui agit et agite encore, c’est le souvenir de l’ébranlement. Sa recherche, aussi. Il est de plus en plus rare, vous vous en doutez bien. Quelquefois, quelquefois pourtant…

O.H. : Quels furent vos liens avec le surréalisme ? Quels sont-ils encore aujourd’hui ?
P.P. : Immédiats, définitifs, non exclusifs. Je vous l’ai dit, tout a commencé avec Nadja –ce qui n’est pas très original – et ça n’a jamais cessé, cette chose-là ne peut pas cesser. Une brève rencontre avec Breton a illuminé mes seize ans. Plus tard, après 1968, ma « trajectoire » a croisé celle du groupe surréaliste au moment où il cessait d’être, laissant place à une diaspora dans laquelle je me suis toujours situé, et aujourd’hui encore la plupart de mes amis viennent de là. Non exclusifs, cependant, ces rapports, en partie parce que le surréalisme en tant qu’activité collective n’existait plus, mais surtout en raison d’un éclectisme assez grand qui m’a fait chercher la poésie (la vie) partout où elle se trouvait et non pas dans un « milieu ». Mais enfin, oui, le surréalisme a été, reste une des passions de ma vie, et certainement son axe moral.


O.H. : J’extrais de votre A l’usage de Delphine cette réflexion : « Un cadavre de souris le matin suffira toujours à me donner de mes nouvelles.» Cette phrase, comme crachée au bassinet d’une certaine nostalgie, ne me paraît pas si anodine que cela, de par son rythme, et que c’est là l’état final du rongeur des plus communs. Mais il y a ce « toujours », comme irrémédiable, et on peut alors légitimement se poser une question : le poète est-il celui qui détient la clé des métamorphoses, s’est-il vu offrir ainsi, en quelque sorte, par la Nature un rôle d’éponge, absorbant et restituant, à l’usage du commun, l’essence même d’un monde vivant ?
P.P. : Comme beaucoup des aphorismes de ce livre, celui-ci procède par démarquage et par glissement. Ici, à l’origine, il y a cette phrase de Breton : « Un journal du matin suffira toujours à me donner de mes nouvelles. » Autre époque. Il y a longtemps que je ne considère plus comme des nouvelles ce qu’apporte le journal : on le sait, on s’en doute, on aurait pu l’écrire à sa place. On sait tout, ou du moins rien n’étonne. Sauf la mort quand elle se fait, quand elle est faite. J’ai longtemps vécu à la campagne, et vivre à la campagne c’est vivre avec des cadavres de bêtes, tous les jours, toujours. Ça ne s’apprivoise pas, la mort. Il n’est même pas vrai qu’on s’y habitue : il y a toujours cette chose-là, cet être-là qui va se décomposer, à regarder. Qui vous regarde, quelquefois. Et sauf à vouloir vivre dans un perpétuel ahurissement devant ça, il faut le faire passer en soi, porter la mort, le mort, et, en effet, le métamorphoser. Du chat mort, faire un tigre vivant (ou fantôme) et qui pourtant soit encore le chat mort. Tout emporter dans une immense compassion mélancolique et dynamique. Rendre le rat au monde, le monde au rat, oui.



O.H. : Que représente pour vous la notion d’absolu ?
P.P. : Je vous répondrai par une citation de l’écrivain Stanislaw Jerzy Lee : « Les proportions du beau sont toutes simples : 100 pour 100. »


O.H. : Je sollicite, à ce moment, André Breton, lorsqu’il note la phrase de Freud qui, à l’endroit des poètes, dit ceci : « Ils sont dans la connaissance de l’âme, nos maîtres à tous, hommes vulgaires, car ils s’abreuvent à des sources que nous n’avons pas encore rendues accessibles à la science. » Vous qui avez vu, déjà, « le nombril de la pomme », comme « le temps qui fouille dans ses cendres », selon vous, quelle pourrait-être cette connaissance ?
P.P. : J’ai vu le nombril de la pomme ? Oui, sûrement, puisque je l’ai dit ; je l’ai vu quand je l’ai dit. « Le temps qui fouille dans ses cendres », vous aussi, vous le voyez. Tout le monde le voit. Les poètes ne sont les maîtres de personne, ils ne le sont déjà pas de leur propre langage, si « souverain » celui-ci puisse-t-il paraître quelquefois (et il y a là, pour moi, une persistante énigme). Mais voilà, en effet, ils s’abreuvent à des sources, aux sources, dont ils n’attendent pas qu’elles produisent d’autre électricité que mentale. Car les poètes, contrairement à ce que prétend parfois une mauvaise imagerie –un mauvais imaginaire- ne sont pas des apprentis sorciers. Peut-être sont-ils les seuls à ne pas en être, et leur magie est blanche. Maintenant, l’écoute et le relais simplement aimants et objectifs des sources (objectifs parce qu’aimants) conduisent-ils à la « connaissance de l’âme » ? L’âme de quoi ? L’âme de l’homme ? Merci bien ! Je ne crois pas que la poésie s’occupe particulièrement ni de l’âme ni de  l’homme en tant qu’individu séparé, psychologique. Plutôt du monde, je dirais. De la réalité du monde, et de l’arrière-monde qu’il n’y a pas et qu’il y a pourtant. Parle-t-elle d’un amour malheureux, c’est parce que ce malheur fait une déchirure, une plaie atroce, injuste, dans la matière vivante du monde. Il est pas mal rapiécé, le monde.


D'autres articles autour de la disparition de Pierre Peuchmaurd :

sur remue.net par Jacques Josse
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sur poezibao par Laurent Albaraccin
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sur l'alamblog
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sur le blog d'Isabelle Dalbe
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Publié dans Des nouvelles du front

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